|  | Interviews  Thierry Ehrmann 
        PDG
 Groupe Serveur
 
 Créé 
        en 1987 dans la région lyonnaise, Groupe Serveur s'est engagé 
        dans des activités de répondeur vocal (avec La Voix du Parano) 
        puis dans les services télématiques pour aboutir à 
        Internet. Maintenant, Groupe Serveur dispose d'une quinzaine de filiales 
        (dont deux côtées) ainsi que d'une dizaine de participations 
        minoritaires. Le domaine de prédilection de Groupe Serveur, ce 
        sont les bases de données. Thierry Ehrmann, propriétaire 
        à 95% de ce conglomérat d'activités destinées 
        aux professionnels et présentes sur divers supports (papier, Minitel, 
        Internet), manifeste toujours sa volonté d'introduire en Bourse 
        son groupe. Le bond est prévu pour la fin de l'année.  Ce patron atypique, 
        anticonformiste et solitaire, consacré "Provocateur du Net" 
        par Le Monde (lire le portrait que lui a consacré le quotidien) 
        s'en prend aux grands opérateurs qui ont "broyé l'impulsion 
        Internet" et à "la caste de nantis" que le Web a 
        déstabilisés. Mais il n'oublie pas le business : fidèle 
        à son créneau de prédilection, les "marchés 
        opaques", il annonce une place de marché pour la chimie et 
        une banque de données économiques signée Groupe Serveur. Propos recueillis 
        par Philippe Guerrier et Jérôme Batteau le 27 août 
        2001 .  JDNet. Comment 
        avez-vous pris position sur Internet ?Thierry Ehrmann. Groupe Serveur a découvert l'Internet en 1987. 
        Nous sommes devenus fournisseur d'accès Internet professionnel 
        en mars 1989, à l'instar de Calvacom. A l'époque, le World 
        Wide Web n'existait pas donc nous exploitions le FTP (file transfert protocol). 
        Ensuite, nous avons fait partie des pionniers des FAI gratuits. C'était 
        une niche avant l'arrivée de World Online ou de Liberty Surf. Mais 
        nous avons rapidement arrêté l'expérience car c'était 
        à mon sens un gouffre financier. En fait, nous considérions 
        surtout Internet comme un moyen de distribution de produits numériques. 
        Nous avions d'ailleurs écarté d'entrée toute vente 
        de biens matériels ou de prestations de services. Notre croyance 
        est dans la base de données et dans l'information à forte 
        valeur ajoutée.
 Pourquoi ce 
        choix de vous concentrer sur les bases de données ?C'est une activité très rentable, même si vous perdez 
        de l'argent obligatoirement les deux premières années. C'est 
        le cas de notre filiale ArtPrice, cotée en bourse, actuellement. 
        Les charges de départ pour constituer la base de données, 
        sont en effet énormes. Vous avez besoin de nombreux ingénieurs, 
        de juristes, de documentalistes, etc. Mais, une fois ce travail effectué, 
        les investissements sont minimes. Il suffit de faire les mises à 
        jour. Ce modèle qui s'est accéléré avec Internet 
        n'est pas nouveau, c'est celui des agences de presse financière 
        depuis un siècle. On emprunte la voie de Reuters pour qui l'information 
        vendue doit dégager une plus-value pour le client. Nous estimons 
        que si une personne achète pour 4 dollars une information sur le 
        marché de l'art à Artprice.com, elle doit en tirer un bénéfice 
        de 200 dollars par l'avantage qu'elle lui procure. Au niveau commercial, 
        il faut également comprendre que si la banque de données 
        est de bonne qualité, elle sera obligatoirement captive. Les personnes 
        ou groupes qui l'utiliseront seront prêts à payer - et cher 
        - pour y retourner. Selon nous, ce concept permet donc de dégager 
        de fortes marges sur Internet. Nous disons dans le métier que, 
        au bout d'un certain temps, "quand les charges prennent l'escalier, 
        les bénéfices prennent l'ascenseur". Mais on ne peut 
        pas faire cela dans tous les secteurs. Sur l'information sportive, par 
        exemple, à moins d'être bookmakers à Londres, cela 
        n'aurait aucun intérêt. Et c'est également pour cela 
        que nous préférons les marchés opaques, où 
        l'information circule mal.
 Groupe Serveur 
        est dédié à 'la dérèglementation des 
        marchés opaques". Cela se traduit comment sur Internet ?Quand je dis "opaque", ce n'est pas toujours le fait de dissimuler 
        volontairement des informations. C'est aussi la difficulté d'y 
        accéder. Par exemple, le droit communautaire est opaque. En résumé, 
        nous nous mettons sur des marchés sur lesquels un petit nombre 
        d'individus détiennent une somme d'informations maximum. J'ai considéré 
        que trois marchés globaux allaient être bouleversés 
        par Internet de par leur fonctionnement opaque : les matières premières, 
        les marchés financiers et le marché de l'art.
 Concrètement, sur quels projets Internet travaillez-vous 
        ?
 Dans les matières premières, nous nous concentrons sur le 
        secteur chimique. L'objectif sera de mettre en place un intranet entre 
        les producteurs et les acheteurs. Je connais bien le problème car 
        nous avons débuté dans le secteur en Allemagne. En juillet, 
        nous avons également racheté à Jet Multimédia 
        le Serveur Judiciaire, leader sur les banques de données économiques 
        en France. Dans moins d'un mois, il existera des versions internet de 
        ce service, à l'adresse Serveurjudiciaire.com (Judicialserveur.com, 
        en version anglaise).
 Comment percevez-vous l'éclatement de la bulle Internet et 
        le marasme qui s'est installé depuis ?
 Ce qui est regrettable, c'est que les gens de l'Internet portent comme 
        une croix le cliché "les dotcoms ont tué l'économie 
        avec la bulle boursière". Il y a eu des erreurs et des modèles 
        contestables, certes. Mais cela ne pèse rien comparé à 
        la folie des opérateurs de télécoms. 98% de la dette 
        financière actuelle sur les marchés financiers est liée 
        à cet unique secteur. Juste un chiffre : France Télécom 
        a levé récemment un obligataire d'un milliard d'euros pour 
        couvrir l'échéance d'octobre. Cette somme correspond à 
        l'ensemble des levées de fonds sur le Nouveau marché et 
        le Second Marché depuis cinq ans. Dans ces conditions, je ne comprends 
        pas que l'on puisse nous donner des leçons. Grâce aux nouvelles 
        technologies, il y avait une impulsion en Europe et elle a été 
        broyéee par les grands opérateurs. Sans compter la perte 
        pour les particuliers en Bourse, des personnes qui avaient confiance dans 
        le statut de ces grandes sociétés. Sur le Nouveau marché, 
        il y a eu beaucoup plus d'avertissements sur les jeunes sociétés 
        Internet que lorsque France Telecom réalisait ses opérations 
        financières. Or, nous nous apercevons que le risque n'était 
        pas moins grand. D'ailleurs, le taux de mortalité des sociétés 
        Internet reste inférieur à celui des entreprises traditionnelles. 
        Il faut donc continuer à encourager les gens à se tourner 
        vers ces nouvelles technologies.
 Plaidez-vous pour un engagement plus fort de la part du monde politique 
        concernant les NTIC ?
 Certainement. En 1997 pour la première fois, à Hourtin, 
        j'avais trouvé que Lionel Jospin avait un vrai discours politique 
        sur le sujet. Il y a eu malheureusement des passages à vide depuis. 
        Quand je vois que la fonction publique sera sur internet uniquement en 
        2005, cela me fait peur. En France, on est en train de voir s'éteindre 
        l'histoire d'Internet à cause de gens qui n'ont pas mesuré 
        les enjeux et surtout qui n'ont jamais fait partie de notre histoire. 
        Je pense d'ailleurs que nous allons mettre en place un comité pour 
        peser sur le débat présidentiel à ce sujet. Les politiques 
        doivent essayer de réfléchir à l'avenir des nouvelles 
        technologies plutôt que d'avoir le nez rivé sur les marchés 
        financiers ou sur l'UMTS qui est une escroquerie technologique et financière 
        à l'heure actuelle. Par ailleurs, je reste persuadé que 
        les télécoms ne sont peut-être pas l'avenir d'Internet. 
        L'électricité est une piste à creuser. Elle est déjà 
        exploitée en Allemagne avec AEG. Avec 30 prises par foyer en France 
        et un réseau beaucoup plus dense que celui des télécommunications, 
        c'est certainement un moyen d'avenir. Ce problème appartient à 
        Lionel Jospin, où à son successeur, qui devra décider 
        si oui ou non, EDF doit devenir fournisseur d'accès. De toute façon, 
        il faut que le haut-débit arrive rapidement et les opérateurs 
        télécom devront libérer la bande passante. Seulement 
        ces mastodontes, qui tirent leurs dernières cartouches à 
        mon sens, ont tendance à gagner du temps. France Télécom 
        en est l'exemple. C'est pathétique car ils n'ont rien anticipé.
 Vous exploitez 
        largement la thèse de Jeremy Rifkin sur la dématérialisation 
        de l'économie. Le monde que l'on nous prédit ne vous inquiète-t-il 
        pas alors que vous vous qualifiez volontiers de gauchiste libertaire ? 
        Notre vie va devenir une marchandise et Rifkin a raison. C'est terrorisant 
        mais c'est comme cela. Jean-Marie Messier [PDG du groupe Vivendi-Universal] 
        l'a d'ailleurs très bien compris. Si je le considère comme 
        un homme dangereux, il reste malgré tout un visionnaire. Mais, 
        à contrario, n'oubliez pas que le citoyen s'éveille dans 
        ce système. Une seule personne peut demain répondre à 
        l'arrogance d'une multinationale si elle le souhaite via Internet. Un 
        seul consommateur peut donner son avis de manière mondiale. L'affaire 
        Danone n'est que le début de cette contestation. Sur l'Intranet 
        de Groupe Serveur, je découvre une violence et des débats 
        qu'on ne voyait pas avant l'arrivée des réseaux. Un vrai 
        dialogue s'instaure. Nos syndicats ont d'ailleurs dit que l'Intranet étaient 
        en train de les évincer du système. Tous ces éléments 
        donnent à penser qu'on est au début d'une grande révolution.
 Une théorie 
        qui ne fait pas forcément l'unanimité...Effectivement, j'accepte la critique et la peur que peut engendrer Internet. 
        Mais, à mon avis, Internet gêne surtout une caste de nantis 
        qui a très bien compris que la domination sociale et le principe 
        de l'Etat-Nation allaient être remis en question par ce média. 
        Dans les hautes sphères, je vois des gens qui ont une haine viscérale 
        d'Internet et qui la développent autour d'eux. Ces conservateurs 
        ont bâti une partie de leur patrimoine et forgé leur esprit, 
        depuis plusieurs générations, sur la rétention d'informations, 
        et sont donc fondamentalement opposés aux concepts que véhicule 
        Internet. En 2002, je prédis un retour violent vers le média 
        Internet et un nouvel élan.
  Philippe Guerrier 
        et Jérôme Batteaucopyright ©2001 Le Journal du Net - www.journaldunet.com
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